Labour / Le Travail
Issue 84 (2019)

Note de la rédaction

Transitions. Si l’enseignement et la recherche sur l’histoire du travail et de la classe ouvrière ont eu un thème moteur au cours de la dernière décennie, il s’agit clairement de gérer de vastes transitions sociales et politiques. Née des mouvements de la nouvelle gauche dans les années 1960 et au début des années 1970, l’histoire du travail a mis au jour une communauté dynamique de jeunes universitaires désireux de s’intéresser à l’histoire jusqu’ici non écrite et en grande partie oubliée des travailleurs et de leurs luttes. Il serait inexact de prétendre que les universités ont pleinement intégré ces spécialistes dans ses départements d’histoire, de sociologie et de sciences politiques, mais il y avait certainement une place pour l’histoire du travail et de la classe ouvrière dans le programme d’études plus vaste et en expansion.

Aujourd’hui, nous nous trouvons face à un environnement radicalement transformé. Bien que la nouvelle génération de chercheurs étudie les travailleurs et leurs luttes, les milieux universitaires sont beaucoup moins enthousiastes à l’idée de créer et d’élargir l’espace nécessaire à l’étude de l’histoire de la classe ouvrière. Alors que la génération fondatrice de spécialistes de l’histoire du travail se rapproche de la retraite, il reste une série de questions à poser à notre discipline pour la prochaine génération: quel est l’état de l’histoire de la classe ouvrière aujourd’hui? Quels sont les problèmes, les thèmes et les événements qui nécessitent des recherches plus nombreuses et différentes? Comment pouvons-nous célébrer les luttes et les études du passé et mettre cette rédaction en contexte, tout en réfléchissant de manière critique sur la nécessité de nouvelles approches? Quel est l’avenir de l’étude de l’histoire de la classe ouvrière?

Ces questions ont été au centre d’une série de conférences en 2018 et 2019. La première conférence, organisée par le Comité canadien sur l’histoire du travail (cclt), s’est tenue à Saskatoon les 13 et 14 octobre 2018. Intitulée Re-Working Class: Setting a New Agenda for Canadian Labour and Working-Class History, la conférence a réuni des universitaires, des chercheurs syndicaux, et des activistes pour examiner l’état actuel de l’histoire du travail et de la classe ouvrière au Canada, tout en cherchant à définir des stratégies pour faire avancer notre recherche et notre rédaction. Au cours de ces deux jours, les participants ont examiné des questions cruciales concernant l’enseignement de l’histoire du travail, la commémoration des luttes du passé, la rédaction actuelle sur la classe et ses intersections avec le sexe et la race, et la manière dont nous pourrions poser de nouvelles questions dans le cadre de nos recherches interdisciplinaires et disciplinaires. Les rédacteurs de Labour/Le Travail faisaient partie du comité d’organisation; nous croyons que, si le domaine doit être vital et revitalisé, nous avons besoin de ces lieux de discussion et de débat importants. Certaines des questions posées au sujet de l’enseignement dans l’un des panels de la conférence, dans lesquels les présentateurs ont examiné certains des défis actuels de l’enseignement de l’histoire du travail, figurent dans cette édition de Labour/Le Travail . Une autre conférence du cclt est en préparation.Une deuxième conférence a eu lieu à l’Université de Winnipeg en mai 2019 pour commémorer le centenaire de la grève générale de Winnipeg. Intitulée Building a Better World: 1919–2019, cette conférence exceptionnellement organisée a réuni des universitaires, des militants, des syndicalistes et le grand public, à la fois pour explorer l’histoire de la grève et pour poser de nouvelles questions sur ce que les luttes du passé peuvent nous enseigner sur l’organisation de nouvelles luttes aujourd’hui. La grève générale de Winnipeg demeure un événement fondamental dans l’histoire de la classe ouvrière canadienne, ce qui ne veut pas dire qu’elle est simplement célébrée de manière irréfléchie ou que les interprétations données par les historiens de 1919 n’ont pas changé. Un numéro spécial de Labour/Le Travail de 1984 (vol. 13) avait jadis fait la transition, car il modifiait nos discussions sur la nature nationale, transnationale, globale et genrée de la révolte ouvriere après la première guerre mondiale. Reconnaissant l’importance de la grève générale de Winnipeg, le présent numéro de Labour/Le Travail donne un aperçu de 1919: nous présentons deux poèmes de 1919, écrits par George Elliot Clarke et Giovanna Riccio; un discours inédit de Bill Pritchard; et, en couverture, l’œuvre de l’artiste Robert Kell, de sa série Winnipeg 1919.

Enfin, du 21 au 23 juin 2019, une troisième conférence intitulée Feminism, History, and Theory, s’est tenue à l’Université Trent pour célébrer le travail de Joan Sangster. Au centre de cette conférence se trouvait le travail fondateur de Joan Sangster, co-éditeur de Labour/Le Travail , dans les domaines du féminisme, du colonialisme, des femmes, et de l’histoire de la classe ouvrière. Plus qu’un hommage, la conférence cherchait à rassembler des chercheurs et des spécialistes émergents et confirmés afin d’établir un lien entre l’érudition nouvelle dans le monde du travail et l’histoire des femmes dans une université en constante mutation qui ne défend pas toujours ces thèmes. Les relations de classe et le travail ont fourni un fil conducteur et un thème d’interprétation tout au long de la conférence, souvent présentés en conversation avec le colonialisme, l’histoire de la gauche, le féminisme et l’histoire des femmes. Ce sont aussi des thèmes que Labour/Le Travail a défendus dans ses pages et nous espérons que notre publication continuera à élaborer de nouvelles recherches dans ces domaines, contribuant ainsi à ces conversations d’une importance cruciale alors que nous cherchons de nouvelles voies pour construire et développer notre discipline.


En toute solidarité,

      Charles Smith

      Joan Sangster